mardi 7 juin 2011

Un orfèvre en matière d’arnaque

L’escroc se présentait comme un artiste et l’était, d’une certaine manière. Comment aurait-il pu, sinon, duper des commerçants par dizaines en utilisant la loi comme bouclier ? Bruno Herpin, ironie suprême, utilisait le droit pour mener ses coups tordus.
Au tournant du millénaire, il a sévi un peu partout en France – et singulièrement dans notre région. En Isère, Drôme, Ardèche, Savoie, Haute-Savoie, Hautes-Alpes, Vaucluse… Réunies dans l’association “La Perle Rare”, ses victimes désespéraient de le confondre. En mars 2010, pourtant, le tribunal de Digne condamne Herpin à cinq ans de prison, dont trois avec sursis. Mais lui, parti en cavale, continue ses manœuvres douteuses. Aux abois, il se laisse alors aller à commettre des faux grossiers. La police ne l’arrêtera que huit mois plus tard, à Aix-en-Provence. Là où la cour d’appel va le juger aujourd’hui, épilogue d’une longue décennie d’entourloupes.
L’art du prévenu, outre le boniment, porte sur la joaillerie. À l’entendre, il a même monté sur pendentif un caillou tombé de la Lune ! En guise de chef-d’œuvre, le “créateur” produit plutôt d’insignifiants colifichets. C’est ailleurs qu’il faut chercher le luxe, dans sa pharaonique villa près de Forcalquier. Avec Ferrari, Porsche, chevaux et 28 hectares autour pour se dégourdir les jambes… “Je repasserai à la Saint-Valentin”
En fait, Herpin a surtout mis au point une imparable martingale. Son terrain de jeu s’étend du “Tabac-presse-loto” aux magasins de mode et de souvenirs. Il démarche les petits commerçants, généralement à l’heure de la fermeture afin d’abréger d’éventuelles discussions. Sa proposition ne se refuse pas : “Je vous laisse en dépôt mes bijoux fantaisie, sans avance de fonds, à ne régler ensuite qu’en fonction de vos ventes.” Un dispositif gagnant-gagnant ? Sauf qu’une clause du contrat, signé à la va-vite, constitue un piège redoutable. Sans restitution au bout de six mois, le boutiquier devient propriétaire du stock confié par le démarcheur. Et doit donc en régler le montant global !
Herpin n’a plus qu’à organiser sa disparition provisoire. Faire lanterner le “gogo”, en attendant le moment légal de présenter la facture… Pendant six mois, l’artiste ne répond pas au téléphone, ignore sa boîte aux lettres et s’évanouit dans le paysage. Passé le délai fatidique, il redonne de ses nouvelles par voie d’huissier. Si le “commandement à payer” ne suffit pas, ce sera l’assignation devant les tribunaux…
Son impitoyable système de recouvrement, cerise sur le gâteau, ne lui coûte pas un sou. L’aigrefin bénéficie de l’aide juridictionnelle ! Autrement dit, le contribuable finance ses magouilles. “C’est une hydre qui vous attrape avec ses tentacules et ne vous lâche jamais, jusqu’à la Cour de cassation” estime le procureur de Digne.
Estelle Galbis, qui tient boutique à Chambéry, ne le démentira pas : “L’opération paraissait sans risque, j’avais confiance. L’homme m’a déposé son lot en 1999, pour ma vitrine de Noël, promettant de repasser à la Saint-Valentin.” Elle ne l’a jamais revu, ni à Pâques, ni à la Trinité : “Impossible de le joindre, un vrai fantôme. Tenez, voici son colis de maudites marchandises ! Je lui ai adressé en recommandé et la Poste me l’a retourné, comme tous mes courriers, pour cause de destinataire introuvable.” Des victimes à bout de nerfs
Depuis, à l’enseigne “Lolita” rue Croix-d’Or, la Savoyarde broie du noir : “Le filou, douze ans après, continue de me réclamer 27 000 euros. Sans compter les frais d’avocat à ma charge. Ça m’a rendue malade, un ulcère, un problème cardiaque et l’angoisse qui me réveille la nuit. On met une vie à construire quelque chose pour risquer de tout perdre en une seconde.”
Au sein de “La Perle Rare”, parmi les 200 “pigeons” recensés, beaucoup ont connu la ruine et la dépression. Le président Jean-Paul Clément tient les comptes : “Au total, Herpin leur réclame près de 3 millions d’euros !” Aucun diamant n’ornait pourtant sa verroterie, mais les petits bibelots font les grandes rivières…
Longtemps, l’implacable mécanique a pu duper la magistrature. L’arnaqueur parvenait ainsi à recouvrer ses “créances” avec le soutien des cols d’hermine. Pas moins de 46 décisions de cour d’appel, ici et là, lui donnèrent gain de cause. Un jour à Bordeaux, un jour en Bretagne, un jour dans le Rhône… L’éparpillement des cas faisait sa force, le rassemblement des plaignants causera sa perte. “Comment expliquer que tant de commerçants se soient trompés sur leur engagement contractuel avec vous ?” a fini par lui demander un juge d’instruction. “Je pense qu’il s’agit de gens négligents qui, ensuite, ont viré malhonnêtes sous la pression d’une association !”
On voit que le prévenu, dépourvu de scrupules, ne manque pas de répartie. Pour convaincre la cour que sa parole est d’or, il en aura besoin.
http://www.ledauphine.com/isere-sud/2011/06/06/un-orfevre-en-matiere-d-arnaque

Aucun commentaire: