vendredi 10 juin 2011

Nafissatou Diallo: du rêve au cauchemar

Elles sont une cinquantaine, massées à la sortie de la salle d’audience. Vêtues de blouses grises, noires ou bleues, elles sont venues manifester leur soutien à Nafissatou. Une femme de chambre, comme elles. Quand Dominique Strauss-Kahn arrive au tribunal de New York, ce 6 juin, il est accueilli par leurs cris : « Shame on you ! ». Elles sont venues réclamer justice. Pour Nafi. Pour elles toutes. A l’issue de l’audience éclair, Kenneth Thompson, le nouvel avocat de Nafissatou Diallo, prend la parole : « Notre cliente va venir devant cette cour et témoignera à la barre. Elle dira au monde entier ce que DSK lui a fait. »
D’elle, on n’a longtemps connu qu’une silhouette fantomatique, dissimulée sous un drap blanc. Des rumeurs ont circulé. Des photos aussi. Il y a d’abord eu ce portrait aux couleurs passées, accroché au mur bleu de la case de son demi-frère. Le port de tête est altier malgré des traits un peu lourds, les cheveux crantés et relevés en une coiffure sophistiquée. Les clichés transmis par des proches confirment que Nafissatou est une belle jeune femme. Sur ces photos, elle a 19 ans. Comment savoir si elle ressemble encore à cette image ? Ses voisins disent qu’elle est grande (1,80 mètre) et belle. Certains l’ont vue les cheveux noirs, coupés au carré ; d’autres, coiffée du foulard traditionnel. En venant aux Etats-Unis, cette émigrée guinéenne ne cherchait qu’à se fondre dans l’anonymat. Son rêve américain était modeste. Il s’est transformé en cauchemar.
Beaucoup de zones d’ombre demeurent, d’autant que Nafissatou est désormais placée sous protection policière renforcée, un système nommé « Double blind » ou double écran. Même les détectives n’ont pas directement accès à elle. Ils doivent passer par deux intermédiaires. Mais l’enquête que nous avons menée en Afrique a permis de lever un pan du mystère qui entoure la si discrète Nafissatou Diallo. Benjamine d’une fratrie de six enfants (trois garçons et trois filles), elle est née il y a trente-deux ans à Tchiakoullé, un hameau d’une quarantaine d’habitants situé dans le Fouta-Djalon, le berceau montagneux de la communauté peule de Guinée. Un village coupé du monde, niché à 1 300 mètres d’altitude, au milieu de gorges et de vallées creusées dans le grès. Aucune route ne mène à Tchiakoullé. On y arrive à pied, par un sinueux sentier de brousse. Dissimulées derrière des bananiers et les plants de maïs, sept maisons en « dur » et une dizaine de cases en banco bordent une rivière. Ni eau courante, ni électricité.
Comme la plupart des hommes de Tchiakoullé, Thierno Ibrahima Diallo, le père de ­Nafissatou, était cultivateur. Il est mort en 2009, à plus de 90 ans. Il avait eu quatre enfants d’un autre mariage. C’était aussi, à en croire les villageois et les proches de Nafi, un homme très pieux et respecté, présenté comme un « dignitaire musulman ». Les Peuls, nomades venus de la vallée du Nil, ont implanté l’islam sunnite en Afrique de l’Ouest, notamment en Guinée. Ils pratiquent l’excision. La vertu des femmes est jalousement préservée car le moindre écart entache la famille entière.
C’est dans cette culture qu’est élevée la petite Nafissatou. Excisée à l’âge de 7 ou 8 ans, elle n’est pas scolarisée mais fréquente l’école coranique, où elle récite en arabe les versets du Coran. C’est une fillette sage. Boubacar Siddy, qui se présente comme son demi-frère et vit toujours à Tchiakoullé, se souvient d’une enfant qui parlait peu et travaillait beaucoup. A l’âge de 13 ans, elle aurait quitté son village pour Labé, la principale ville de la région, à 80 kilomètres.

http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Nafissatou-Diallo-du-reve-au-cauchemar-300421/

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